APPEL A JACQUES
CHIRAC, KOFI ANNAN ET JEAN-PAUL II
L'Histoire vous a fixé rendez-vous. Le sort de l'Humanité est
entre vos mains. Il est évident que les dirigeants du plus puissant État de la
planète, emportés par une volonté d'hégémonie, sont en train de défier le
Monde jusqu'à mettre en péril une Assemblée internationale qui fut créée
précisément à la fin de la seconde guerre mondiale à l'initiative d'un
Président américain, F.D. Roosevelt, pour en finir avec les guerres ! Il
s'agit là d'une régression insupportable et inadmissible douze ans après la
disparition des Blocs, laquelle laissait entrevoir un avenir pacifique pour un
monde réunifié.
Il est difficile de croire qu'un petit État, en l'occurrence
l'Irak, menace la paix du monde alors que les grandes puissances possèdent
d'extraordinaires moyens de contrôle qui permettent de tout entendre, de tout
voir, de tout photographier au point que nous connaissons tout, absolument
tout du potentiel militaire de l'Irak ! Et nous serions obligés de faire la
guerre à un État qui ne menace même plus les États de la région ? A coup sûr,
la Corée du Nord menace plus ses voisins et nous ne voyons pas les États-Unis
partir en guerre contre ce pays !
En réalité, nous avons affaire à une coalition d'intérêts,
aux ramifications internationales, que ses promoteurs ont décidé de faire
aboutir coûte que coûte, sans se soucier des conséquences tragiques qui en
découleront pour les peuples d'une région déjà dévastée par des conflits
interminables.
A Jacques Chirac
Nous nous réjouissons, Monsieur le Président, de voir que vous
avez, jusqu'à présent, remarquablement défendu les chances de la paix. Mais
nous savons qu'un veto de la France à l'ONU n'arrêtera pas les partisans de la
guerre, tant est grande leur détermination. Il faut agir autrement, en
s'appuyant sur l'opinion mondiale bien évidemment favorable à la paix. Nous
vous demandons par conséquent de faire, avec nos alliés, en premier lieu
l'Allemagne, une contre-proposition devant l'Assemblée internationale en
allant vous-même l'exposer, si possible avec le Chancelier Gerhard Schröder,
devant les représentants de tous les pays réunis en assemblée extraordinaire.
La contre-proposition ne peut être qu'une grande Conférence pour la Paix qui
pourrait se tenir à Genève, la Suisse ayant déjà annoncé qu'elle était prête à
l'accueillir. Cette Conférence aurait pour objectif de régler le conflit
israélo-arabe, sur la base de deux États, telle que le préconisait l'ONU à
l'origine, en 1947. C'est ce problème non résolu qui est, nous en sommes
persuadés, au coeur du conflit qui s'éternise au Proche-Orient, et qui ne sera
pas résolu par une nouvelle guerre. Au contraire, celle-ci ne fera que
l'aggraver.
Saisissez cette occasion, Monsieur le Président, pour
enclencher un nouveau processus de paix qu'il faudra tôt ou tard remettre sur
les rails, même après une guerre ! Grâce à votre initiative, nous pouvons
l'imposer tout de suite, et, par conséquent, faire l'économie d'un conflit qui
risque de plonger l'Humanité dans une période de terrorisme généralisé.
A Kofi Annan
En tant que Secrétaire Général des Nations Unies, vous
disposez d'une énorme responsabilité que votre mandat international commande
de mettre au service de la paix. Ce que vous avez fait, jusqu'à ce jour, avec
une réelle efficacité. Mais vous voici, comme nous tous, au pied du mur. Si
les partisans de la guerre ne tiennent aucun compte d'un vote majoritaire, ou
d'un veto, hostiles au déclenchement du conflit, il va de soi que l'ONU,
fondée en 1945, perdra toute crédibilité. Il nous faudra alors reconstruire
sur un champ de ruines une nouvelle Assemblée internationale. Monsieur le
Secrétaire Général nous pouvons éviter cela. Il suffit, en effet, que vous
vous engagiez, au nom de l'immense majorité des pays représentés, en faveur de
la Conférence pour la Paix proposée par les pays européens et leurs alliés,
une Conférence placée bien entendu sous l'égide de l'ONU, et dont vous serez
le maître d'oeuvre en tant que Président. En imposant cette solution négociée,
non seulement vous sauveriez l'ONU mais vous lui donneriez l'occasion de
s'adapter au Nouveau Monde qui a besoin d'une véritable Assemblée
internationale pour résoudre les problèmes de notre temps, et qui ont, comme
vous le savez, pour la plupart une dimension planétaire. Ou bien vous faites
avancer l'Humanité d'un grand pas, ou bien vous la laissez sombrer sous les
coups d'une coalition aventuriste.
L'heure de la mobilisation générale en faveur de la paix est
venue. A vous d'en assurer le triomphe !
A Sa Sainteté le Pape
Vous avez été, tout au long de votre pontificat, un pèlerin au
service de la paix. Voici que l'Histoire vous offre une occasion inouïe de le
clore par une démarche solennelle : celle d'affirmer à la face du monde, et
devant plus d'un milliard de musulmans, que l'Église universelle dont vous
êtes le Chef, répudie l'esprit de croisade que cette coalition guerrière
n'hésite pas à invoquer sous l'influence de fondamentalistes égarés
par des interprétations bibliques d'un autre âge. S'il ne vous pas possible,
pour des raisons de santé, d'aller vous-même à l'ONU, où vous vous êtes déjà
rendu, alors n'hésitez pas, en accord avec son secrétaire général, de vous
adresser à elle, c'est-à-dire à toute l'Humanité, au moyen de ce que l'on
appelle la "vidéo-conférence". Dans l'enceinte de l'Assemblée, sur un écran
géant, tous les délégués, notamment les représentants des pays musulmans,
pourront vous voir et vous entendre en direct - dans toutes les langues comme
vous savez si bien le faire, du haut de votre balcon sur la Place Saint-Pierre
! - apporter votre soutien à la Conférence pour la paix et porter
condamnation de cette nouvelle croisade qui entacherait, une fois de plus, le
christianisme qu'il vous faut, plus que jamais, incarner.
Telles sont, me semble-t-il, les dernières chances de
faire échec au parti de la guerre.
Gabriel Enkiri