Voici l'e-mail d'une française qui prend part aux actions de la Campagne Civile pour les Droits des Palestiniens à Naplouse. Cela donne
une idée de la vie des enfants vivant sous occupation israélienne.
LECTURE INDISPENSABLE (mise à jour 9/10/2002 2eme journée à Naplouse)
Bonjour a tous,
Troisième jour en Palestine; nous sommes depuis vendredi a Naplouse, 60 kms au nord de Jerusalem. La ville de Naplouse est
entourée de trois camps palestiniens; le couvre-feu est instaure depuis 108 jours maintenant, ce qui veut dire que les gens sont supposes ne pas sortir du tout de chez eux, ne pas circuler, ne pas travailler, ne pas aller a
l'ecole... Neanmoins, Naplous est connue pour sa resistance a l'occupation arbitraire a l'armee irsaelienne. Alors les gens decident quand meme de sortir, de continuer a avoir un semblant de vie. Des chars israeliens circulent dans la ville toute la
journee.
Hier matin et ce matin, nous sommes alles dans trois ecoles situees au sud de la ville, les unes a cote des autres. Les eleves n'osent pas rentrer dans
l'etablissement car, de temps en temps, les soldats israeliens tirent sur le batiment, ou envoient des bombes lacrymogenes dans les classes. Les professeurs ne sont pas tous la, la plupart habitemt de l'autre cote de la ville et les check-points les empechent de venir. Hier
neanmoins, ils etaient une dizaine dans l'ecole des garcons. Juste au moment ou les eleves auraient pu se decider a entrer dans l'ecole, les chars israeliens ont tire sur le mur de devant. Avec Nadia, nous nous sommes retrouvees coincees avec les professeurs dans
l'ecole; un peu plus tard, nous avons pu entrer dans l'ecole des filles. C'etait la fin des cours mais elles n'osaient pas sortir car les soldats bloquaient
l'entree principale. Nous nous sommes avancees, d'autres internationaux nous ont rejoint; nous nous sommes postes devant les chars, les enfants ont pu passer et rentrer chez eux. Ce matin, meme histoire... Les chars etaient devant
l'ecole des 5 heures du matin. La plupart des enfants sont rentres chez eux; dans l'ecole des filles, la directrice tenait a faire la classe quand
meme. Les filles ne voulaient pas rentrer dans l'ecole, nous les avons rassure en leur disant que nous restions postés; finalement, la classe a eu lieu.
Hier, plus tard dans la
matinee, nous avons suivi deux chars israeliens dans une partie de la ville; ils font des rondes et empechent les gens de circuler, pretextant le couvre-feu. A un moment, ils ont arrete 6 hommes; nous nous sommes approches des soldats et leur avons demande pourquoi ils les avaient
arrete; ils nous ont repondu qu'ils recherchaient des palestiniens (le matin meme, 2 soldats israeliens avaient ete tues); ils ont pris aux hommes leur carte
d'identite et les cles de leur voiture, trois heures plus tard ils ne leur avaient toujours pas rendu et ils continuaient a patrouiller dans la ville pendant que les hommes
attendaient assis. Un nous a dit qu'ils lui avaient deja dechire une fois son laisser-passer...
La journee d'hier a ete assez tendue; les chars ont beaucoup patrouille et tire , sur des gens, sur des
batiments. On nous a dit qu'un enfant avait ete tue ( deux jours avant, ce sont deux autres enfants qui sont morts ). Hier apres-midi, nous avons degage une route; les israeliens l'avaient bloque avec des
buldozzers, formant un monticule de terre et de pierres infranchissable. Nous avons deblaye sous leurs yeux, aides par les enfants palestiniens. Cela devrait permettre aux ambulances d'aller plus vite, la route etant une voie
d'acces importante.
L'ambiance est tres curieuse; la ville meme de Naplouse est comme une ville fantome; tout est ferme, les voies d'acces sont
bloquees, les batiments eventres par les tirs. Dans les camps au contraire, la vie est la...
Mardi 8 octobre, Naplouse
Voila quatre jours que nous sommes a Naplouse; hier, levee du couvre-feu sur la partie sud de la ville, alors que la vieille ville et le centre adfministratif restent bloques. Situation etrange qui fait que certains habitants de Naplouse ont le droit de se deplacer mais ils restent limites dans leurs activites puisqu'ils ne peuvent pas traverser la ville. Neanmoins, cela fait plaisir de voir les grandes arteres animees et des gens circuler "presque" normalement: les chars sont quand meme presents aux carrefours. Hier matin, nous sommes arrives a 6h30 devant trois ecoles du quartier sud; un tank etait poste un peu plus bas, nous etions au carrefour principal et devant les ecoles, les enfants sont arrives par petits groupes et sont rentres tranquillement en cours; presque tous les professeurs etaient presents. Cela faisait vraiment plaisir de les voir etudier normalement... En-effet, si les enfants viennent tous les jours a l'ecole, ils n'ont pu suivre veritablement les cours que cinq fois ces trois derniers mois! Les soldats israeliens font regner la terreur, ils empechent les eleves et les professeurs de rentrer dans l'ecole, ou bien d'en ressortir apres les cours. Notre presence a deux sens: rassurer enfants et professeurs ( les soldats ne prennent generalement pas le risque de tirer sur les internationaux) et essayer de temperer les soldats. Nous nous postons en general a la fois a cote des tanks pour pouvoir eventuellement engager une discussion, et entre les chars et les enfants pour assurer une protection.
Ce matin, par contre, ca n'a pas aussi bien fonctionne; quand nous sommes arrives, un tank bloquait la voie d'acces principale aux ecoles, les enfants et les professeurs etaient refoules dans une petite ruelle par derriere, mais une jeep de l'armee tournait sans cesse dans le perimetre, ce qui effrayait certains enfants et en exitaient d'autres qui jettaient des pierres contre la voiture et contre le char. La tension est montee jusqu'a ce que le char se mette a tirer sur la foule (enfants et professeurs); nous etions parmi eux, mais cela ne les a pas empeche de tirer, en l'air et au sol. Un enfant d'environ 10 ans a ete blesse d'une balle dans l'estomac. Nous n'en savons pas plus pour l'instant, mais il y a deux jours, un autre enfant avait recu au meme endroit une balle dans la jambe. Sur le chemin du retour, nous avons croise la jeep de l'armee postee a un autre check-point; nous avons eu une petite discussion avec un des officiers deja croise hier. Il etait furieux contre nous, nous accusant de permettre aux enfants de jeter des pierres en les couvrant par notre presence.
Nous avons vraiment l'impression qu'il y a une volonte deliberee du gouvernement israelien d'empecher les enfants palestiniens d'etre scolarises et d'etudier normalement. Aujourd'hui, les enfants sont completement desoeuvres, cela ne fait qu'augmenter leur aggressivite, ils n'hesitent pas a se poster devant les chars et a lancer toute sorte de projectiles; ils prennent des risques
enormes...
Pour revenir a la journee d'hier, malgre la levee du couvre-feu dans la partie sud, les chars et les jeeps de l'armee sillonaient la ville. Les bulldozers etaient la aussi; ils ont saccage plusieurs
routes importantes du centre ville, brise des canalisations d'eau, deracine des arbres, retourne l'asphalte. Les destructions etaient plus importantes que d'habitude. Ces actions sont destinees a limiter la circulation et le deplacement des populations, mais aussi a saper le moral des habitants. Une femme qui n'etait presque pas sorti depuis plusieurs semaines etait sous le choc devant ce paysage de desolation...Deux jours auparavant, nous avions commence avec
d'autres internationaux a degager une des routes importantes de la ville, notamment pour permettre aux ambulances de circuler plus rapidement; hier, elle etait de nouveau impraticable...
La ville de Naplous est controlee par de nombreux check-points aux carrefours les plus strategiques. Les soldats controlent les deplacements et regulierement, de maniere totalement arbitraire, ils arretent des gens sous pretexte de controle d'identite. En marchant
dans la ville, nous avons vu a plusieurs reprises des soldats proceder a ces controles. Dans ce cas, nous nous avancons et essayons d'engager le dialogue avec eux. Lorsque les personnes
arretees restent en plein soleil, les mains sur la tete, nous demandons aux soldats la permission de les laisser s'asseoir a l'ombre et de boire; jusqu'a present, ils acceptent. Cela nous permet ensuite de poser d'autres questions, parfois genantes pour eux; nous essayons de leur faire mesurer le cote absurde de cette situation, sans succes le plus souvent. Nous essayons aussi de rester le temps qu'ils controlent les papiers, cela peut durer une demi-heure, ou plusieurs heures... Cette situation est particulierement humiliante pour les palestiniens; les soldats leur
prennent leurs papiers d'identite, les obligent a attendre (ils ne sont meme pas surs de les recuperer a la fin de la journee), prennent les cles de leur vehicule et partent le plus souvent sans le leur rendre. Hier, un chauffeur de taxi arrete leur a donne une fausse cle et est reparti des que les soldats ont eu le dos tourne, c'est devenu un sujet de plaisanterie chez les palestiniens, quelqu'un disait meme qu'il ne fallait jamais se deplacer sans une fausse cle!
Hier encore, nous sommes alles dans deux maisons recquisitionnees et occupees par l'armee. Dans l'une de ces maisons, les habitants ont ete parques dans deux pieces au rez-de-chaussee, encore en travaux; ils vivent a 9 dans ces 2 pieces, les soldats occupant le reste de la maison. Ils sont en fait prisonniers de leur propre demeure, ne pouvant meme plus sortir; un des enfants s'etait brule au visage avec de l'eau bouillante; les parents n'ont pas pu l'emmener chez un medecin et les soldats ont refuse jusqu'a maintenant qu'un medecin vienne le soigner sur place. Un photographe-reporter nous accompagnait, il a commence a prendre des photos, le responsable militaire present l'a menace, d'abord de lui prendre son appareil puis, le ton montant, de tirer sur lui. Il a aussi menace les
internationaux presents; nous avons cependant obtenu que le medecin puisse venir dans les prochains jours. Dans l'autre maison, la famille a ete chassee depuis vendredi dernier; les soldats sont arrives vers midi, ils ont oblige les habitants a monter tous les meubles sur le toit; la famille n'a pu prendre que quelques habits. Nous avons essaye de discuter avec les trois soldats presents dans la maison, ils n'avaient pas grand-chose a dire si ce n'est que l'occupation, selon eux , serait provisoire...En interrogeant les voisins, nous avons pu decouvrir ou s'etait refugie la famille, chez des cousins dans le centre ville; nous sommes alles la voir; elle nous a dit que les soldats avaient promis de leur restituer la maison samedi prochain (12 octobre); nous avons propose de l'accompagner le lendemain prendre quelques affaires et en profiter pour faire une manifestation avec tous les internationaux devant la maison; jusqu'a maintenant, ils ne sont pas tres chauds et preferent attendre samedi; par contre, ils souhaitent que nous les accompagnions.
Il y a une quinzaine d'internationaux a Naplouse, de differentes nationalites. Nous nous reunissons presque chaque jour pour coordonner les actions dans la ville. Ce matin, durant la reunion, nous avons tous constate qu'il y avait depuis quelques jours une aggressivite croissante de la part des soldats envers les internationaux. Notre presence les agace vraiment et les discussions avec eux sont de plus en plus tendues. Toutes ces emotions sont parfois lourdes a gerer pour nous. Nous sommes a la fois temoins et acteurs de conflits permanents et nous memes sommes parfois partages quant à la postion a adopter. Ceci dit, nous restes determines dans notre action... Nous quitterons probablement Naplouse demain, peut-etre pour Ramallah.
S & L.
Voici le récit de Sophie à Hébron dans le cadre de la Campagne Civile Internationale pour les Droits du Peuple Palestinien.
Nous sommes arrives dimanche soir a Hebron, accueillis par une association palestinienne qui detache des jeunes volontaires, palestiniens et
etrangers, sur des projets de solidarite un peu
partout dans les territoires occupes.
La ville d'Hebron est separee en deux: une partie de
la ville (H1) est habitee par les palestiniens, environ 125 000 personnes soit 80% de la population palestinienne d'Hebron. L'autre partie (H2), c'est-a-dire
la vieille ville, est habitee par les 20% restant soit
35 000 palestiniens ainsi que par 400 colons. La colonisation d'Hebron a commence en 1980;
depuis 1996, les deux parties sont coupees par une grande route utilisee uniquement par les israeliens. La vieille ville est completement morcelee;
partout, de grands immeubles tout neufs pour les colons; ils occupent aussi de vieilles maisons prises aux palestiniens. Pres de 1200 soldats sont la
pour les proteger, mais les colons sont eux aussi tous armes...Des
soldats sont postes sur les toits pour surveiller (ca leur permet aussi de
pouvoir tirer sur les palestiniens plus facilement!), des rues sont totalement interdites aux palestiniens, partout des checkpoints, des patrouilles
israeliennes circulent en permanence dans la vieille ville. Le but des israeliens est evidemment de recuperer toute la vieille ville, depuis 20 ans,
ils font donc tout pour chasser les palestiniens qui y habitent encore. Chaque jour, ils arretent des commercants, les gardent quelques jours en
prison; ils font parfois irruption dans des magasins et saccagent la marchandise; en juin dernier, ils ont detruit plsuieurs maisons...
Certains
palestiniens, fatigues de ce harcelement quotidien, preferent demenager dans l'autre partie d'Hebron; d'autres continuent a resister mais pour combien
de temps? Les colons de Hebron sont encore plus dangereux que les soldats; ils sont reputes pour leurs positions extremistes et leur ideologie
radicale. Ils se considerent comme des missionnaires, voire comme des elus: ils sont la pour proteger "leur terre" et en chasser les palestiniens. Ils
n'hesitent pas a tuer... Pour ma part, j'etais moins rassuree que face aux chars a Naplouse. Ils se fichent des internationaux: nous sommes la pour
proteger les palestiniens, donc nous sommes contre eux. Lundi matin, nous retrouvons deux volontaires americaines du Christian Peacemaker Team (PCT).
Leurs activites sont sensiblement les memes que celles de la CCIPPP. Avec elles, nous nous dirigeons vers une ecole de filles situee juste en face
d'un grand immeuble neuf habite par des colons. En arrivant dans l'ecole, c'est le choc: les colons sont venus la veille au soir et ont tout saccage:
vitres brisees, partout sur les murs des graffitis; sur le portail, des menaces en arabe du genre " partez si vous ne voulez pas qu'on vous chasse par
la force...". Des soldats sont en bas de la rue et nous obsevent. Un colon est aussi en bas, il joue avec sa carabine, esperant peut-etre nous
impressionner. Les filles arrivent par petit groupe, elles sont obligees de passer par des sentiers detournes. La directrice prefere ne pas raconter
ce qui s'est passe, ceci dit elles le verront bien! Laurent et Hind restent avec une des volontaires du CPT, afin de s'assurer que tout se passera
bien.
Nous partons avec Nadia et l'autre volontaire vers des ecoles situees de l'autre cote de la vieille ville. Le souk est presque vide; en
fait, cette partie est constamment sous couvre-feu; les
israeliens ont meme decrete que certains magasins ne devaient pas ouvrir du tout! Des
grillages sont tendus dans les ruelles ; en-effet, les colons s'amusent a jeter des ordures sur la tete des palestiniens. Nous passons plusieurs
check-point; on sent du mepris chez les soldats, en particulier chez les femmes soldats. Arrivee aux ecoles, aujourd'hui ils ont pu commence sans
probleme, ce n'est pas tous les jours le cas...
Pour moi c'est la derniere etape de mon sejour. Plus que partout ailleurs j'ai ressenti cette
haine, cette violence des israeliens a l'egard des palestiniens; Hebron est un exemple frappant de la segregation qui est imposee au peuple
palestinien. Comme l'ont dit beaucoup d'entre eux au cours de mon sejour, meme les animaux ne sont pas traites comme cela! J'espere que ces recits
auront servi a certains a mieux comprendre la realite de ce qui se passe aujourd'hui dans les territoires occupes, a mieux comprendre aussi ce qu'est
l'enfer quotidien des palesTiniens. J'ai croise hier un petit garcon qui faisait une crise de nerfs tellement il avait peur d'aller a l'ecole. Cette
image restera gravee dans ma memoire mais il ne faut pas attendre de voir pour agir.
Sophie
Nous gardons anonyme le nom des auteurs de cette lettre pour des questions de sécurité, mais nous les remercions pour leurs témoignages qui
permettent de mieux comprendre... et plus tard cela servira à juger les criminelles de guerres.