C'est sans doute du jamais vu dans
les relations internationales. Le peuple palestinien est
occupé, martyrisé, affamé, victime d'un déni de justice
vieux de plus d'un demi-siècle; son président élu est reclus
dans un bâtiment en ruines et tenu en permanence dans la
ligne de mire des snipers.
De plus, la
puissance qui l'occupe, Israël, dispose non seulement de la
puissance militaire mais aussi d'un magistère moral
auto-proclamé qui lui confère l'impunité absolue. Ses
dirigeants assassinent, violent le droit international, les
conventions de Genève. L'«arbitre» du conflit, l'ami
américain, lui donne régulièrement l'imprimatur pour
conduire son oeuvre de
mort.
Mieux, il négocie avec lui l'issue du conflit sans prendre
la peine de faire semblant d'écouter la partie
palestinienne. Même du temps des indiens d'Amérique, Sitting
Bull était convié à la table des généraux américains pour
discuter du sort des siens.
En Algérie, naguère, la France, puissance coloniale
arrogante, n'a jamais songé à débattre du sort de ses trois
départements algériens avec les seuls pieds-noirs. Jamais
dans l'Histoire, un peuple n'a été, à ce point, tenu à
l'écart de son propre destin. Et tout cela se fait dans le
silence assourdissant des nations «démocratiques» et du
monde arabo-musulman.
Il est vrai que ce dernier n'en est pas à sa première
couleuvre. Il a avalé les deux guerres contre l'Irak, la
mainmise américaine sur ses richesses pétrolières, la
profanation des sièges les plus sacrés de la mémoire arabe.
Ses
dirigeants se préparent en tremblant à l'instauration
officielle du «Grand Moyen-Orient démocratique», autre nom
d'un monde arabe domestiqué, rompant définitivement avec ses
rêves de grandeur et de développement. Une illustration
caricaturale de cette régression a été donnée par Moubarak,
Président d'une Égypte qui a longtemps incarné les rêves
arabes de renaissance.
Accueilli par Bush, son protecteur (son tuteur?), il avait
sans doute l'illusion qu'il pouvait l'influencer dans sa
vision du conflit israélo-palestinien. Il l'a sans doute
définitivement perdue après le passage de Sharon chez ce
même Bush et la constatation de la totale identité de vues
entre les deux hommes. On pouvait croire que Bush, lesté du
bourbier irakien, donnerait quelques gages aux Palestiniens.
C'est méconnaître les ressorts de son action. Bush est le
client d'une extrême droite américaine nourrie de
christianisme traditionaliste.
Alors que le sionisme s'estompe en Israël même, il connaît
une vigueur nouvelle dans ces milieux qui cultivent la
croyance en l'avènement du Messie quand Israël régnera sur
l'ensemble de la Palestine. Il faut savoir que ces milieux
sont les principaux pourvoyeurs d'aide aux créations et au
développement des colonies dans les territoires occupés,
loin devant les juifs américains. Il ne faut pas pour autant
croire qu'ils sont philosémites. Bien au contraire, ils sont
violemment judéophobes. En témoigne le dernier film de Mel
Gibson, la «Passion du Christ», qui est une charge violente
contre le «peuple déicide». En témoignent également leurs
textes dans lesquels ils promettent, une fois la Palestine
«débarrassée» de ses arabes, les pires supplices aux juifs
qui refuseraient alors d'abjurer leur foi. Il s'agit donc
d'une alliance tactique contre l'ennemi commun de l'heure,
l'arabe et le musulman, dans une lutte à mort.
Il n'y a donc aucune volonté de régler ce conflit par une
approche rationnelle. La meilleure preuve en est l'échec de
toutes les propositions de solutions pacifiques. Ainsi,
l'offre de paix saoudienne, entérinée par tous les pays
arabes, et qui proposait, non seulement la paix mais aussi
la normalisation totale des relations avec Israël en échange
des territoires
occupés, a été balayée d'un revers de main par Sharon. Oslo,
Taba, la feuille de route ont connu le même sort. Ces
propositions avaient le tort, aux yeux d'Israël, de mettre
fin à un conflit qui revêt pour lui un caractère existentiel
et d'interdire de fait le rêve du Grand Israël et, aux yeux
de ses supporters intégristes américains, de reporter
indéfiniment la
venue du Messie. Le caractère inextricable du conflit vient,
non pas de la difficulté à négocier (il suffit pour cela
d'appliquer les résolutions internationales), mais du refus
de négocier et du choix délibéré de la guerre totale.
Les opinions occidentales, inconsciemment, l'ont compris,
en condamnant Israël (perçu comme la principale menace
contre la paix dans le monde, selon un sondage commandé par
l'Union européenne), et en condamnant massivement l'invasion
de l'Irak, démontrant ainsi qu'elles n'étaient pas dupes des
discours sur la liberté et la démocratisation de ce pays. Il
faut aller plus loin que la condamnation.
L'Europe, en particulier, a partiellement compris que sa
pérennité ne sera garantie que par la paix et le
développement avec ses voisins du Sud. Ce continent, au
contraire des États-Unis, a connu les guerres et leur
cortège de dévastations et de massacres de masse. Les
opinions européennes ont rompu, depuis longtemps, avec une
vision millénariste et sacrificielle du monde. Elles ne sont
pas disposées à remettre leur avenir aux mains d'apprentis
sorciers qui leur promettent un «chaos libérateur». Elles
doivent peser sur leurs gouvernements pour que soit mis en
branle, un processus alternatif au processus israélo-américain, processus qui conduirait à une
redéfinition générale de l'ordre du monde et qui redonnerait
l'espoir du développement aux peuples du Sud. Ce serait
l'unique gage d'une paix pérenne, fondée sur l'échange et le
vivre-ensemble, par opposition à la paix des cimetières
promise par le vrai Axe du Mal, l'axe américano-sioniste.
Brahim
Senouci