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TEMOIGNAGE de Marianne Blume

Reçu le 29  mai 2003

PALESTINE : LE CRI D'ALARME DES FEMMES PALESTINIENNES

De Marianne Blume
Chers amis,

Je n'écris pas souvent parce qu'a force de vivre dans l'injustice et
l'absurde, on finit par avoir l'impression de se répéter et souvent, pour rien.

Mais aujourd'hui, la coupe déborde plus que d'habitude. J'en ai marre
d'entendre, de lire dans toutes les langues que les attentats sabotent la
feuille de route et donc les efforts de paix, marre d'écouter les litanies
contre Arafat et tous ceux qu'Israël n'aime pas, marre de ne rien lire ou
entendre sur le terrorisme israélien qui tue dans l'oeuf l'espoir même de
la paix.

Alors , je décide de vous faire partager une petite part de notre quotidien.

Hier, 19 mai 2003, un ancien étudiant m'appelle avec une voix étrange
que je ne lui connais pas. Il me demande de venir au plus vite pour voir ... et
d'amener des étrangers si je peux. Il s'arrête et je me doute qu'il est
ému, qu'il pleure. Les Israéliens ont démoli la maison de son beau-père et
celle de son cousin. Ils ont aussi démoli une autre maison, endommage la
mosquée et puis ils s'en sont pris aux arbres suivant une bonne vieille
habitude. Les chars et les bulldozers sont encore la. J'hésite prise
d'angoisse a l'idée que je ne pourrai rien y faire et que je rencontrerai
peut-être un de ces insectes hideux qui crachent des balles sur tout ce qui
se passe. Avec un ami, nous décidons d'aller. Pour atteindre l'ezbah Beit
Hanoun, nous ne pouvons prendre la route principale (Salaheddine) puisque
les chars occupent Beit Hanoun depuis 4 jours. Nous sommes obliges d'aller
par un chemin de traverse que je ne connais pas. Et nous arrivons. Les
hommes sont assis comme pour les deuils, les femmes sont ensemble plus
loin. L'atmosphère est si lourde que nous ne savons que dire. Nous écoutons
le récit de la nuit passée. Les hommes sont extraordinairement calmes, mais
les visages sont marques par la fatigue et l'inquiétude. Les femmes sont la
avec des enfants qui ne comprennent pas ce qui est arrive ou qui
comprennent trop bien et sont trop sages. Elles racontent et contemplent
l'amas de ce qu'on a pu sauver avec dans les yeux tout ce qui est perdu.
Les plus grands cherchent leurs cahiers ou leurs livres car les examens ont
commence.

Ce que j'ai vu est indescriptible. J'ai vu une maison rasée et enterrée
avec du sable par ceux qui l'ont démolie. J'ai vu la famille aidée des
voisins creuser pour retrouver tout ce qui serait récupérable.Leur quête
désespérée ressemblait a un jeu morbide car rien ne subsiste, pas même le
tracteur écrasé avec le reste. J'ai vu une femme jeune errer sur les
décombres ou sont engloutis tous ses espoirs. J'ai vu les corps des chèvres
et des animaux que le bulldozer a écrasé avec le reste. J'ai vu des ruchers
saccages et des arbres déracines. J'ai vu des enfants surexcites qui ne
trouvaient pas d'autre moyen de dire l'indicible que de se rassembler et
de guetter le blinde qui passait et repassait sur la route, tirant
sporadiquement vers des paysans qui tachaient de traverser la rue. J'ai vu
deux autres maisons embouties par les bulldozers et qui semblaient tenir
par miracle. J'ai vu le poste électrique qui dessert l'ezbah vandalise.
J'ai vu ou plutôt je n'ai plus vu la route nouvellement refaite: les Huns
sont passes par la. Et pourtant, je n'ai pas vu de larmes sauf dans les
yeux de mon étudiant qui n'en peut déjà plus de cette vie absurde: il vient
d'avoir un enfant et il se demande avec angoisse ce qu'il pourra pour lui.

J'ai respire l'odeur de la poussière et de la terre retournée, l'odeur
de la mort aussi: les mouches bleues sont agglutinées ou les animaux sont
engloutis.

Et puis j'ai entendu des récits si sobres que j'en ai eu la chair de poule.
Les soldats sont venus, ont intime l'ordre de sortir immédiatement sans
rien prendre, ni l'argent, ni le lait pour les enfants, ni les papiers
importants ni les couvertures, ni... Tout cela dans la nuit. Tous sont
sortis sans résistance pour assister de loin a l'anéantissement de leur
bien. Ailleurs, les soldats s'en sont pris a un père de famille, sa gamine
de 5 ans tout au plus s'est mise a pleurer et a couru vers son père. Le
soldat a mis son arme sur sa tempe et lui a ordonne de lever les mains.
Ailleurs, une femme a demande aux soldats de pouvoir sortir au moins les
animaux, le chien et les moutons. Et les soldats ont refuse. "Ils n'ont
pitié de rien." me dit cette femme, "Pourquoi les animaux ?"

Maintenant, les familles ont trouve asile chez leurs proches. Vingt
personnes en plus tout d'un coup, dans une maison qui en abrite déjà a peu
pres autant. Des gens qui ont perdu leur logement et leur moyen de
subsistance: plus d'oliviers, plus de citronniers, plus de troupeau, plus
rien. Plus rien dans un hameau ou les gens n'ont déjà rien.

Je vous raconte l'histoire d'une nuit a l'ezbah Beit Hanoun parce que
j'ai vu. N'importe qui pourrait vous faire un récit similaire et plus sanglant
sur Rafah, Khan Younis, Garara, Moghraga, Nuseirat, Jabalya ou autre. C'est
ça le quotidien. Et quand on vous dit a la radio ou a la TV ou dans vos
journaux que, après une période d'accalmie, les attentats ont recommence,
vous devez savoir que l'accalmie ici, en Palestine, c'est la mort, les
destructions, les vexations quotidiennes. Le terrorisme, c'est l'occupation
et son cortége répressif. Le terrorisme, c'est l'assassinat journalier d'un
peuple et de son avenir. Et c'est ca aussi le sabotage de toutes les
feuilles de route qu'on se plaira a imaginer.

PS Vous pouvez envoyer ce message a qui vous semble bon.